Avec l’entrée en vigueur des premiers tarifs douaniers mardi dernier (4 mars), les États-Unis sont officiellement entrés dans une ère de protectionnisme. Étant leur 1er partenaire économique, on est aux premières loges pour en subir les conséquences négatives.
C’est un enjeu pour le moins vaste, je veux prendre le temps d’aborder avec toi les conséquences réalistement envisageables pour l’industrie du vélo de montagne au Québec.
***La situation change à chaque jour, après avoir corrigé 3 fois mon article, j’abandonne et te réfère à l’article suivant pour connaitre la situation actuelle de ce qui est sujet à des tarifs, de combien et quand.***
Je vais aborder:
- Les produits qui sont a risque d’être affectés chez nous
- Les compagnies canadiennes dont les ventes vont être affectées aux États-Unis
- Les conséquences sur la fréquentation des centres de vélo de montagne
- Combien de temps est-ce que ça peut durer?
- Comment faire une différence
1 – Quels produits sont à risque d’être affectés chez nous?
Lw gouvernement fédéral n’a pas encore publié la liste des secteurs qui vont être affectés par la seconde ronde (2 avril) de tarifs canadiens (c’est ceux qu’on paie), mais le fédéral a déjà annoncé qu’ils toucheront un éventail beaucoup plus vaste.
Supposons donc qu’ils touchent les articles de sport, ils vont donc s’appliquer aux produits étant exportés à partir des États-Unis, ce qui va être un nombre plus limité que tu penses.
Voici pourquoi:
- La vaste majorité des éléments composant ton bike et les accessoires que tu portes sont fabriqués en Asie. 3 pays produisent presque tout: Taiwan, Chine et Vietnam.
Ils sont par la suite expédiés aux distributeurs nationaux directement (sans transiger par un autre pays). Les principaux distributeurs au Canada sont: HLC, Live to play (norco) et QBP. Il y a aussi plusieurs plus petits joueurs comme: Orange Sport Supply, Fox (propriétaire de Raceface et Ride Concept), S4 suspension, Outdoor Gear Canada, Lama Cycles, Lyncée, etc. - Certaines marques vont expédier aux bike shops canadiens à partir des États-Unis par simplicité (c’est souvent des entreprises originaires des États-Unis), mais ça va être relativement simple pour elles d’organiser un centre de distribution au Canada avec un 3PL ou de simplement faire affaire avec un distributeur canadien (mentionné plus haut).
Les produits qui ont le plus de chance d’être affectés, c’est les bikes assemblés aux États-Unis: c’est plus complexe pour une marque de déplacer l’assemblage. Pense à des petites marques comme Pivot, Yeti et Ibis. Les plus gros joueurs (ex: Trek, Specialized, Cannondale, Santa Cruz, etc.) assemblent fort probablement déjà leur bikes ailleurs et/ou vont pouvoir changer le lieu d’assemblage si nécessaire.
Bref, l’impact sur les prix risque d’être faible dans le monde du vélo de montagne.
2 – Quelles sont les compagnies canadiennes dont les ventes risquent d’être affectées aux États-Unis?
Comme nommé précédemment, les compagnies les plus à risque sont celle dont la production (ou une partie comme l’assemblage) se fait au Canada.
En voici quelques exemples:
- Arkel
- Devinci (cadre en aluminium)
- Rocky Mountain (assemblage certains modèles)
- Norco (assemblage certains modèles)
- Vorsprung (ensemble de la production)
- Panorama (assemblage)
- Argon 18 (valider lieu d’assemblage)
- Chromag (valider lieu d’assemblage)
- Forbidden (valider lieu d’assemblage)
- Knolly (assemblage)
- RSD (assemblage)
- Spherik (assemblage)
- We are one (plusieurs composantes fabriquées au Canada, dont les jantes)
- Etc.
De ce que je suis capable de rassembler comme information, nos compagnies dans le monde du bike ont été (comme plusieurs) très sceptiques des menaces américaines et le niveau de préparation semble faible.
On peut donc s’attendre à ce que la réorganisation de leurs productions prenne quelques mois (éviter l’étape au Canada). Pour certains, ça peut simplement être impossible sans changer radicalement leur modèle d’affaire (ex: We are one), alors que d’autres peuvent aussi simplement décider de bouder le marché américain le temps que la tempête passe.
3 – Quelles vont être les conséquences sur la fréquentation des centres de vélo de montagne?
Comme tu as surement déjà lu/entendu, plusieurs canadiens planifie bouder les États-Unis pour leurs vacances 2025. Les hébergements de plein air (camping, Sepaq, etc.) rapportent en fait déjà une augmentation significative des réservations.
On peut donc s’attendre à une bonne saison estivale pour nos centres de vélo de montagne ainsi que les commerces avoisinants: plusieurs Canadiens planifiant soutenir des lieux touristiques canadiens pour la saison 2025. Il faut aussi prendre en compte la faible valeur du dollar canadien qui a historiquement favorisé le tourisme local.
Bref, nos centres de vélo de montagne risquent de connaitre une bonne saison.
4 – Combien de temps est-ce que ça peut durer?
He boy … je suis pas sûr que Donald Trump lui-même le sait vraiment.
Voici les éléments qui peuvent jeter un certain niveau d’éclairage sur le sujet:
- L’objectif (pas vraiment voilé) semble être de rapporter la production manufacturière de plusieurs secteurs aux États-Unis.
Par exemple, on comprend que la pause des tarifs à l’industrie automobile semble avoir été conditionnelle à la promesse des dirigeants de Stellantis, Ford et GM de rapatrier un segment de la production.
On peut donc s’attendre à une longue période de push and pull avec des tarifs et des deals à la pièce. Comme les changements convoités sont structuraux et demandent du temps pour être mis en place, on peut s’attendre à plusieurs mois, voir plusieurs années pour s’y rendre. - Le sujet des tarifs divise profondément l’électorat républicain (traditionnellement en faveur du libre-échange), ils risquent donc d’avoir un ressac aux élections de mi-mandat en 2026.
La stratégie canadienne mise d’ailleurs beaucoup là-dessus, à l’instar des négociations sur l’ALENA en 2018. Comme en ce moment, l’objectif est d’influer sur l’électorat républicain (contre tarif qui les vise, mais aussi un dialogue ouvert avec les élus locaux).
On peut donc s’attendre à voir un recul de l’administration sur le sujet proche des élections de mi-mandat (éviter de perdre des votes stratégiques, surtout au sénat) - Des contestations judiciaires vont fort probablement renverser les tarifs.
Aux États-Unis, le pouvoir éxécutif (la présidence) n’a pas le pouvoir d’imposer des tarifs douaniers, c’est le pouvoir du législatif (congrès et sénat). Il y a déjà plusieurs contestations en cours de différent décret présidentiel et certains ont déjà été renversés.
La plupart des juristes américains s’entendent pour dire que la passe passe utilisée (crise du fentanyl) pour déclarer une crise national (ce qui donne des pouvoirs supplémentaires à l’exécutif) n’a pas vraiment de chance de passer le test des tribunaux.
Les délais avant que la Cour suprême statut sur le cas peuvent par contre grandement varier. Ça peut être une question de 1 à 2 mois, mais ça peut aussi prendre plusieurs années selon le bon vouloir du juge en chef de la Cour suprême. - Le gouvernement fédéral semble adopter une position combative.
La réflexion étant la suivante: tant qu’à avoir des tarifs, autant en avoir des élevés rapidement parce qu’ils vont avoir un impact réel et concret dans l’électorat républicain, ce qui devrait forcer l’administration Trump à reculer plus rapidement.
C’est un peu un gamble, mais si ça marche, ça peut limiter significativement la durée de la guerre commerciale.
Bref, une chose est sûre, l’administration Trump utilise ouvertement l’incertitude comme une arme pour obtenir des concessions et tant que l’électorat américain ne demandera pas un changement de comportement, on peut s’attendre à ce level là de n’importe quoi comme soupe quotidienne.
5 – Comment est-ce que tu peux faire une différence?
On peut évidemment favoriser des entreprises canadiennes pour limiter l’impact sur eux de la guerre commerciale, mais ultimement ça ne fera pas changer la position du gouvernement américain.
Le boycottage ciblé (nuance importante) a un impact concret, quoiqu’il ne faut pas en exagérer l’impact. Voici donc des outils pour cibler avec précision et efficacité les compagnies dont le boycottage à une chance de faire pencher la balance.
Mise en contexte:
- C’est largement connu, mais les États-Unis sont pris dans une dynamique bipartite qui polarise les opinions dans 2 camps qui représentent quasiment le même nombre d’Américains.
À titre d’exemple, Harris a reçu 48,3% du vote populaire en 2024 tandis que Trump a récolté 49,8%. C’était 51,3% vs 46,8% en 2020, 48,2% vs 46,1% en 2016, 51% vs 47,2% en 2012, etc.
Ce qu’il faut retenir? C’est une minorité d’américain (2-3%) au centre de spectre politique qui décide des résultats à chaque élection. C’est donc stratégiquement ceux qu’il faut viser pour faire changer la décision de partir en guerre commerciale.
- La décision d’imposer des tarifs n’est pas soutenue par une partie significative de l’électorat républicain.
La représentation la plus flagrante étant les plaidoyers publics du leader républicain au Sénat et du nouveau représentant au commerce de Trump. Ce sont donc des élus qui sont sensibles à l’opinion de leurs électorats locaux.
- Trump n’accorde ouvertement de l’importance qu’aux états qui ont voté pour lui durant la dernière élection.
C’est donc peu effectif de tenter d’influencer l’opinion d’état démocrate, les chances que leurs représentants soient écoutés sont quasi nulles.
Bref, comme durant le premier mandat Trump lors de la renégociation de l’ALENA (accord de libre-échange nord-américain), c’est payant d’influencer sur la minorité qui a le potentiel d’influer les élections de mi-mandat qui arriveront en 2026.
J’ai préparé un tableau rassemblant l’ensemble des compagnies américaines (il y a certainement des oubliés) ainsi que les résultats électoraux de l’élection 2024 où sont situés leurs sièges sociaux (bleu = démocrate, rouge = républicain):

Les compagnies qu’il est donc le plus pertinent de boycotter sont celle dans un état républicain, encore mieux lorsque la ville l’est aussi (les milieux urbains sont souvent plus démocrates).
Par exemple:
- Enve
- Trek
- Deity
- Kuat
- Sprindex
- Cane Creek
Dans un 2e temps:
- Fuji
- Industry Nine
- Maxxis
- Fox (possède aussi Raceface et Ride concept)
- Saris
- Hayes/Manitou
- Push
Et c’est pas mal inutile de boycotter les compagnies comme PNW ou Santa Cruz dont le vote des représentants est acquis au parti démocrate.
6 – Note personnelle
Je suis conscient d’aborder un sujet qui semble être divisif: la plupart des entreprises les évitent autant que possible par peur de créer des réactions négatives.
Mon objectif ce n’est pas vraiment d’influer sur tes idées politiques (ou même de te partager les miennes), mais plutôt de t’offrir des outils concrets pour prendre des décisions qui font du sens. Si c’est une situation qui vient te chercher (ce qui est humain) et que t’aimerais faire une différence, autant le faire d’une façon qui a des chances de réussir.
J’pense que c’est aussi important de se rappeler que c’est du vrai monde, ici comme au sud de la frontière, et qu’on subit tous ensembles la situation qui est, à sa face même, perdant-perdant.
Les extrêmes se nourrissent de la confrontation en caricaturant les personnes qu’ils perçoivent comme des opposants: c’est plus facile de les déshumaniser. Si on ouvre un livre d’histoire ensemble, on va rapidement voir qu’on a déjà joué dans ce film-là, et plus d’une fois.
Tu veux recevoir encore plus de contenu awesome sur les bikes de montagne?
J’t’envois mes textes, mes suggestions et mes découvertes direct dans ta boite courriel.
Faut juste tu t’inscrives!
